Je dois t'attacher.
J'ai préparé quelques objets. Mais comment avoir
ceux qu'il me faudra durant le temps que nous seront ensemble ?
A quelques mètres de moi, je t'observe depuis
quelques heures. De mon sac où se mélangent toutes ces tensions, j'ai
sélectionné quelques cordes. Je les ai choisies sachant qu'elles laisseraient
quelques traces sur toi. Le tri m'a porté sur ce que j'allais faire de ton
corps, de tes articulations, de tes mouvements. J'ai soigneusement posé ces
cordes sur le sol suivant un rituel précis, mon rituel... Quelques objets
accompagnent ces liens. Je les ai également choisis pour toi, avec ce que j'ai
pu lire de toi, en t'observant.
Je dois t'attacher. J'ai besoin de m'exprimer sur
toi.
A quelques mètres de moi, je te regarde avec toute
la puissance que je vais utiliser pour t'attacher. J'utiliserai cette puissance
pour t'avoir. J'utiliserai cette puissance pour te choquer, te faire réagir, te
sentir vivre.
Tout prendre de toi. Ton sexe, ta bouche: aucun
de tes orifices ne m’intéressent. Ils ne sont pas toi. Je veux tout le reste,
tout ce qu'il y a autour. Je veux toi. Je veux tout ce qui te fait vivre: tes
organes, tes muscles, ton squelette, ta peau, ton eau, ton sang. Je veux
jusqu'à ta respiration.
L'instant est là.
J'utilise ta peau comme un papier. La corde est
mon encre. Mon être est ma plume. Notre vocabulaire est notre émotion. Les
nœuds et les frictions vont s'assembler suivant une grammaire sans règle
établie mais pourtant connue de tous.
Je commence par une majuscule. Tout part de là.
C'est l'accroche, l'émotion, le début et l'ouverture de la suite. Le dessin de
cette majuscule commence avant le contact, bien avant. Le choix de la lettre
que je vais dessiner, de la façon dont cette majuscule va ce dessiner sur tes
mouvements je le connais depuis que j'ai su que j'allais d'attacher, quand
tout a commencé.
A chaque passage que je dessine, le papier qui
supporte mon texte se révèle à moi. Un filigrane est perceptible en relief sous
ta peau. Les traces de ta vie, les traces de tes souffrances. Je perçois ces
traces dans ma façon de te tenir, dans sa façon de réagir à mes impulsions.
L'encre coule. La tension de ma corde est
perceptible sur tes membres, sur les courbes. Des coups de crayons sur ce
papier. Une trace unique, sans droit à l'erreur. La recherche de l'écriture
parfaite pour ce moment, dans une progression de l'intensité.
Un frottement de la corde, une morsure sur ta
peau, un frisson, les pores de ta peau s'ouvrent pour mieux se remplir de cette
encre. L'écriture devient grasse et marquée. L'encre, cette corde, se mélange à
ton corps. Le papier que j'utilise accepte de transporter mon message. Mes mots
se dessinent.
Une foule de mots me vient à l’esprit, une
foule d'idées. Je lie mes lettres une à une. Elles se succèdent. Elles se
bousculent. Une foule de mots qui se mélange, qui se mêle les uns aux
autres.
Mon message est écrit. Je le scelle d'une cire
fondue. J'appose mon sceau. J'appose mon point final. Cette écriture liée est
figée.
Le monde lira notre message, verra nos envies,
comprendra nos respects. Surgira alors notre émotion de cet instant.
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